Interview de Michel Jacquet (Sensus) :
Vous avez publié un Livre blanc sur les réseaux d’eau intelligents. Quelles en sont les conclusions ?
Sensus a en effet publié en 2012 un Livre blanc intitulé « Water 20/20 : Coup de projecteur sur les réseaux d’eau intelligents », dans l’objectif de recenser, d’analyser et de comprendre les opportunités, les défis et les problématiques liées aux réseaux d’eau intelligents. Ce Livre blanc présente les conclusions d’une enquête réalisée auprès de 1 000 décisionnaires dans le domaine de la distribution d’eau, complétée par des entretiens de fond avec 182 services des eaux, dans une quinzaine de pays à travers le monde, au rang desquels les Etats-Unis, le Japon, la Grande-Bretagne, l’Espagne, l’Allemagne, l’Italie et la France pour n’en citer que quelques-uns. Une des conclusions principales est que les opérateurs sont tous biens conscients des enjeux, quel que soit le continent où ils opèrent. Outre le besoin de mieux appréhender ce qui se passe sur leurs réseaux, il devient urgent pour eux de lutter efficacement contre les pertes en eau, non facturées, qui impactent directement le rendement de leurs réseaux. Près d’un tiers des interviewés à l’échelle mondiale déclarent faire face à des niveaux de fuites de plus de 40 %. On estime qu’il est de 25 % en moyenne en France aujourd’hui, avec un objectif fixé lors du « Grenelle 2 », de le ramener à 15 %.
Vous indiquez que les Smart water networks peuvent faire économiser jusqu’à 12,5 milliards de dollars aux gestionnaires des réseaux d’eau. Mais le déploiement de l’intelligence implique des investissements. Quel est donc le modèle économique des réseaux d’eau intelligents ?
Notre étude, pour laquelle nous avons mandaté un cabinet externe, montre en effet qu’entre 8 et 12,5 milliards de dollars sont perdus annuellement au plan mondial du fait des fuites, et que dans le même temps, une réduction d’environ 10 % des fuites pourrait générer une économie de 4,6 milliards de dollars.
Mais, comme pour toute situation de rupture technologique sur un secteur, le passage aux réseaux d’eau intelligents nécessite de procéder à des investissements. Et pour un retour sur investissement concret, il faut prendre en compte plusieurs éléments : d’une part, la configuration du réseau, le mode de fonctionnement du service et ses contraintes, les solutions envisagées devant être souples, évolutives et adaptées et, d’autre part, la partie communication du réseau, à savoir la transmission des informations collectées par le point de comptage, doit aller de pair avec la précision de la donnée. Les nouvelles technologies de comptage statique (la « famille » des compteurs statiques regroupe diverses technologies dont le point commun est l’absence de pièces en mouvement dans le flux, par opposition aux compteurs dits mécaniques) doivent permettre de comptabiliser tous les flux, y compris dans les très bas débits, et avec constance dans le temps, là où les technologies mécaniques montrent une érosion des performances.
Ceci permet un double gain à moyen terme : une détection des fuites améliorée de manière significative, donc une facturation optimisée, et un gain de longévité notable sur les matériels installés.
Quels sont les bénéfices des réseaux d’eau intelligents au-delà des seuls gestionnaires de réseau ?
Les gestionnaires de réseaux d’eau sont des opérateurs publics et tout bénéfice pour le gestionnaire se retrouve au niveau de l’abonné - usager. En tout premier lieu, le bénéfice commun à tous est une meilleure gestion de la production/distribution d’eau, pour préserver la ressource et éviter que les prix de l’eau n’augmentent. Mais au-delà de cela, les réseaux d’eau intelligents permettent également à l’usager d’accéder en totale transparence à l’ensemble de ses données de consommation, lui permettant ainsi d’être impliqué dans une démarche écoresponsable d’utilisation raisonnée de la ressource.
Quels sont les pays les plus avancés en matière de réseau d’eau intelligents ? Pouvez-vous nous présenter quelques projets innovants ?
On constate un développement récent des enjeux associés au développement des réseaux d’eau intelligents en Europe, parce que la prise de conscience dépend aussi de la manière dont le marché de distribution de l’énergie est organisé. Le Royaume-Uni et les États-Unis sont les pays les plus avancés, avec des projets concrets de réseaux d’eau intelligents en cours de développement à grande échelle. Sensus a par exemple été récemment choisi pour déployer sa technologie de communication pour les 10 millions de compteurs communicants qui seront prochainement installés dans le nord de la Grande-Bretagne, dans le cadre d’un vaste programme du gouvernement britannique (appel d’offres lancé par le « UK Department of Energy and Climate Control »). En France, des projets de dimension plus modeste sont à l’étude ou en phase de démarrage. Nous avons par exemple présenté récemment dans un communiqué de presse le projet du Syndicat des Eaux de Basse-Vigneulles et Faulquemont, en Lorraine, qui va installer 8 000 de nos compteurs intelligents iPERL en quatre ans, dans l’objectif de faciliter le relevé, pour passer de 400 actuellement à 2 000 compteurs relevés par jour.
Quelles sont les barrières existantes au développement des réseaux d’eau intelligents ?
La principale barrière est la résistance au changement et la peur pour certains acteurs, notamment certaines collectivités, de la technologie. Une autre barrière réside dans la nécessité d’avoir des systèmes inter-opérants et ouverts, ce qui n’a pas toujours été le cas jusqu’à présent.
Cependant, on constate globalement une bonne connaissance de cette nécessité d’investir dans des systèmes inter-opérants par les responsables des collectivités publiques distributrices d’eau.
Michel Jacquet
18 juin 2014