Intervention Le point de vue de Stéphane Marie sur le Smart grid ferroviaire

Contenu mis à jour le 06/02/2018

Stéphane Marie

Stéphane Marie est responsable du pôle conception et expertise du système de traction électrique à SNCF Réseau.

Avant de voir comment le système ferroviaire pourrait devenir plus intelligent, il faut comprendre comment il fonctionne aujourd’hui.

Les électrifications ferroviaires en France

L’historique des électrifications (Source : SNCF Réseau)

Les premiers choix structurants pour le réseau ferroviaire interviennent dans les années 1920, lorsque les différentes compagnies formant aujourd’hui la SNCF s’entendent pour unifier la tension d’alimentation électrique à 1 500 Volts en courant continu. Il y a encore un certain nombre d’infrastructures électriques de cette époque et font l’objet de projets de renouvellement. En conséquence, lorsqu’on parle d’innovation et de Smart grids, il ne faut pas oublier que l’enjeu est de le mettre en œuvre sur réseau existant qui n’a pas été conçu pour cela. 

En 1950, on a tenté d’utiliser la fréquence industrielle pour alimenter le système ferroviaire afin de simplifier les installations électriques et parce que l’électronique rendait possible la transformation à bord des trains. 

Dans les années 1950, une deuxième grande décision prise par Louis Armand, est d’électrifier le réseau ferroviaire en 25 000 Volts en courant alternatif à 50 Hz. Cela concerne principalement les électrifications dans le Nord, l’Est puis la Bretagne. 

Ensuite, il n’y a pas eu d’évolution majeure du système d’alimentation de la traction électrique jusqu’à l’utilisation du 2x25000V à partir des années 1980. Ce principe n’est pas une grande révolution puisqu’il existait depuis le début du siècle dans certaines mines, mais il a permis d’espacer un peu plus les points d’alimentation et d’électrifier la 1ère ligne à grande vitesse en France. 

Le réseau ferré national : les lignes électrifiées en juillet 2017 (Source : SNCF Réseau)

La carte de France, ci-dessus, est intéressante pour au moins deux raisons :

  • seulement 50 % du réseau est électrifié (16 000 km de lignes) ;
  • pourtant, 90 % du trafic se fait sur des lignes électrifiées.

À l’avenir, il n’est pas prévu d’électrifier massivement le réseau pour gagner 10 % de trafic. En revanche, certaines lignes ou gare ferroviaires peuvent être éligibles à une électrification notamment du fait engagements de l’état de sortir de l’énergie carbonée.
En vert, on voit le réseau en 1 500 V en courant continu historique. En rouge, c’est tout ce qui a été électrifié après la 2nd guerre mondiale en 25 000 V en courant alternatif. 

Pour alimenter ces lignes, SNCF Réseau possède de nombreux postes d’alimentation électrique : la traction électrique est formée de caténaires et de sous-stations. Les sous-stations sont de deux types pour les deux systèmes d’alimentation : on compte environ 400 sous-stations en 1 500 V et 160 sous-station environ en 25000V.

Les caractéristiques de l’alimentation électrique de traction

Quelles sont les caractéristiques des deux grands modes d’alimentation du réseau ferroviaire français : en 1 500 V et en 25 kV ?

Le réseau ferroviaire en 1 500 V

Le réseau en 1 500 V est le plus simple du point de vue du train. La complexité du système est portée par les installations fixes : les sous-stations (en jaune sur le schéma ci-dessous) sont connectées en parallèle. Elles agissent comme des piles grâce aux groupe de transformation / redressement entre la caténaire et le rail. Le courant circule à travers la caténaire jusqu’au train, et retourne à la sous-station par le rail.

Les sous-stations en 1 500 V courant continu (Source : SNCF Réseau)

Ce modèle présente néanmoins quelques inconvénients :

  • pour répondre au besoin de puissance des trains à une tension « basse », l’intensité du courant doit être élevée: il faut donc acheminer un courant important dans des conducteurs électriques de grande section pour éviter les chutes de tension, les échauffements et les pertes en lignes. Ce  système impose donc de réduire l’espacement entre les sous-stations pour éviter qu’un courant trop important ne circule dans la caténaire;
  • les puissances appelées sont faibles, de l’ordre de 5 à 20 MW ;
  • il peut créer des perturbations de type harmonique de redressement sur le réseau de transport ou de distribution à haute tension.

Le réseau ferroviaire en 25 kV

La technologie des sous-stations en 25kV, est bien plus simple qu’en 1500V. Le principe consiste à avoir un transformateur qui abaisse la tension délivrée par le réseau de transport à haute tension (RTE ou ES) : une phase est raccordée au rail et l’autre à la caténaire par l’intermédiaire d’organes de coupure (sectionneurs et disjoncteurs).

A puissance équivalente, le courant qui circule dans les infrastructures 25kV est beaucoup plus faible qu’en 1500V. La chute de tension qui en résulte est donc beaucoup plus faible ce qui permet donc a la fois d’augmenter le nombre de trains et d’espacer les sous-stations de 50 à 80 km. En revanche, la puissance électrique étant alors beaucoup plus importantes (de l’ordre de 10 à 80 MVA), les raccordements au réseau HT sont plus coûteux car à des niveaux de tension 63kV, 90 kV, 225kV jusqu’à 400kV. Les sous-stations sont donc plus simples mais beaucoup plus chères. L’inconvénient majeur des sous-stations 25kV est qu’elles occasionnent du déséquilibre de tension sur le réseau, du fait des appels de puissance de 80 MVA biphasé sur un réseaux triphasé : c’est un facteur limitant.

Les sous-stations monophasées en 25 kV – 50 Hz (Source : SNCF Réseau)

Pourquoi alors électrifie-t-on en 25 kV – 50Hz ? Globalement, le fait de mettre moins de sous-stations, même si elles sont plus grosses, est quand même avantageux, car créer un grand nombre de petites sous-stations, notamment en milieu urbain aujourd’hui où l’emprise au sol est compliquée à obtenir, coûte plus cher. 

L’objectif de toutes ces installations est de garantir la performance, et donc la ponctualité d’un train, en maintenant un niveau correct de tension. Les fluctuations de tension sont fortes dans le système ferroviaire. La tension 1 500 V peut varier entre 1 000 et 1 950 V et la tension 25 kV entre 17 500 et 29 000 V. Le train doit pouvoir continuer à fonctionner, même s’il est moins performant. Dans des périodes de 10 minutes, on peut passer d’un extrême à l’autre, ce qui impose de disposer d’une interface assez forte entre le réseau et le matériel roulant : l’un doit pouvoir garantir le fonctionnement de l’autre, et l’autre s’accommoder des variations du premier. 

Toutes ces considérations techniques constituent le champ de contraintes et donc de pistes pour voir sur quels facteurs jouer pour passer au Smart grid ferroviaire. Il y a un impondérable : que le train arrive à l’heure. Par exemple, en courant continu, les trains délivrent leur pleine performance lorsque la tension est dessus de 1 300 V, mais sont bridées au-dessous.  

Présentation synthétique des 3 grands modes d’alimentation qui peuvent exister.

  • Une sous-station à courant continu c’est simple en termes de technologie (un transformateur et un redresseur).
  • Les sous-stations en courant alternatif monophasé, on a juste un transformateur qui abaisse la tension.
  • Les réseaux étrangers voisins qui ont recours à des tensions intermédiaires (15 kV) à une fréquence (16,7 Hz) différente de la fréquence industrielle à 50 Hz, ou en 3000V à courant continu. Ce choix est motivé par le fait qu’ils ont électrifié leur réseau à des moments de l’histoire où ce type de technologie était mature et intéressante du point de vue technique et économique.
Les 3 grands modes d’alimentation électrique des trains (Source : SNCF Réseau)

Les innovations dans la traction électrique

Un premier grand champ d’innovations concerne l’introduction des systèmes d’électronique de puissances dans les installations. Les compensateurs de déséquilibre statiques permettent de s’affranchir de la contrainte de déséquilibre et de garantir ainsi une tension triphasée de qualité au point de raccordement des sous-stations 25 kV. 

Deux compensateurs de ce type sont déjà installés sur le réseau. Il marque le passage d’un système complétement déphasé à un système équilibré du point de vue du raccordement au réseau public de transport de RTE. 

Le compensateur de déséquilibre (Source : SNCF Réseau)

L’amélioration de la performance énergétique des installations est un enjeu essentiel pour SNCF Réseau. Le système ferroviaire génère des pertes de l’ordre de 15 à 18 % en 1 500 V et de 8 % en 25 kV. Ces pertes ne sont pas encore prises en compte comme un critère économique influençant le choix d’une électrification. Le schéma, ci-dessous, recense les différentes pertes. Malgré ces pertes, le système reste efficient comparé aux autres modes de transport :

  • le rendement entre la puissance appelée au train et la sous-station est de l’ordre de 95 à 85% ;
  • le rendement entre la roue du train et le pantographe est de l’ordre de 80 % ;
  • il y a 10 à 20 % de pertes dans le circuit des IFTE (Installations Fixes de Traction Electrique).
Le point de vue énergétique : rendement du périmètre SNCF Réseau d’un système 25 kV (Source : SNCF Réseau)

Un enjeu important pour SNCF Réseau est la récupération de l’énergie de freinage toujours dans un objectif d’efficacité énergétique, d’amélioration de la qualité du service et de conformité aux spécifications techniques d’interopérabilité. L’énergie de freinage, lorsqu’elle n’est pas récupérée, est dissipée dans des rhéostats de freinage en pure perte. 

La réglementation européenne impose maintenant que les trains qui freinent puissent restituer leur énergie de freinage. Le système ferroviaire doit donc être capable de supporter de l’énergie de freinage des trains. C’est un enjeu financier pour SNCF qui reste encore à préciser : il y a beaucoup de littérature sur le sujet qui met en avant de fortes capacités de récupération d’énergie de freinage et de stockage. La question du modèle économique n’est pas encore tranchée.

Récupérer et/ou stocker l’énergie de freinage (Source : SNCF Réseau)

Les enjeux de l’interopérabilité

Les trains doivent traverser les frontières, d’autant plus qu’une partie du chiffre d’affaire de SNCF est réalisé à l’étranger. Même si les normes demandent que seuls les 25 kV français et 15 kV allemand soient les deux références en Europe, le système ferroviaire européen est complexe. Un TGV qui part de Paris pour relier Amsterdam embarque 4 niveaux de tension dans sa chaîne de traction.  

En résumé, l’interopérabilité est une composante essentielle qui nécessite de trouver des compromis entre la performance du train (assurer la puissance du train) et des contraintes externes au système. À ces impondérables s’ajoute ensuite la nécessite de rendre le système ferroviaire plus « Smart ».

L’électrification des réseaux ferrés européens (Source : SNCF Réseau)