Intervention Le point de vue de Vincent Delcourt sur le Smart grid ferroviaire

Contenu mis à jour le 06/02/2018

Vincent Delcourt

Vincent Delcourt est directeur de projets dans le département Tech4Rail de SNCF Innovation & Recherche. Il est également responsable du cluster Energie.

SNCF travaille avec un système qui a une histoire riche : introduire de nouvelles technologies dans un système soumis à autant de contraintes est un vrai défi.

Repenser l’alimentation électrique du système ferroviaire

SNCF s’intéresse particulièrement au smart grid et fait le pari de faire évoluer le système ferroviaire vers un système frugal, efficient et décarboné. En termes d’innovation les grands objectifs en matière d’efficacité énergétique et de carbone se traduisent par 3 axes de travail :

  • les innovations doivent être au service d’un système plus performant et plus robuste. Les infrastructures en fonctionnement, même celles qui ont déjà un certain âge, doivent continuer à assurer un niveau de performance satisfaisant. Aujourd’hui, les tensions peuvent subir des fluctuations (de 900 V à 1 900 V pour le réseau en 1 500 V), ce qui a un impact direct sur la performance énergétique des engins et la capacité de l’infrastructure. Comment peut-on assurer un niveau de performance élevé, alors même que celui-ci est aussi directement impacté par l’augmentation du trafic ?
  • il faut proposer des solutions innovantes en remplacement de la traction thermique ;
  • c’est l’occasion d’identifier de nouveaux business et de nouvelles formes de mobilité : les services pour le système électrique, l’effacement, la mutualisation de la production d’énergie au service du ferroviaire et des autres mobilités, etc. 

SNCF Innovation & Recherche base ses réflexions sur des convictions technologiques qui sont de 3 ordres :

  • le stockage d’électricité devient une réalité (technique et économique) dans le monde industriel. SNCF doit intégrer cette technologie qui sera un atout pour le système ferroviaire. Il faut réfléchir à la manière dont on peut intégrer cette technologie au système ferroviaire au regard de son coût et des avantages qu’elle procure ;
  • une gestion intelligente, active, vers le temps réel des réseaux électriques, grâce à l’avancée du numérique et du digital. La convergence entre la gestion active des réseaux et des systèmes IT témoigne du passage d’une posture passive à une posture active grâce au boom de l’IT et du digital ;
  • l’hydrogène deviendra certainement un vecteur énergétique incontournable dans les années à venir pour les mobilités en complémentarité des mobilités électriques.

Qui dit Smart grids dit systèmes bidirectionnels avec des échanges d’énergie se faisant de point à point. Quelle incidence cela a-t-il sur le système ferroviaire ? Comment transposer dans le ferroviaire les systèmes de production décentralisée ? Alors que les objets connectés sont en plein essor, notamment sur la partie contrôle-commande, quelle est la place réservée aux utilisateurs finaux ? Comment peuvent-ils agir sur la gestion énergétique du système ferroviaire d’une part, et sur leur propre consommation d’autre part ? 

Les deux schémas, ci-contre et ci-dessous, illustrent le passage du réseau électrique actuel, construit autour d’une infrastructure centrale, vers un réseau de plus en plus maillé et intelligent. 

Schéma : Le réseau électrique aujourd’hui (Source : Business English Magazine)

Les choix de demain (Source : Business English Magazine)

Le Smart grid est-il applicable au ferroviaire ?

Le réseau ferroviaire actuel (Source : SNCF)

Le réseau électrique ferroviaire actuel est bâti autour d’une ossature centrale qui englobe la production et la distribution, le tout dans une logique monodirectionnelle vers la traction, les gares, les centres de maintenance et tous les équipements de signalisation. La majorité du réseau électrique ferroviaire à l’exception des lignes alimentées en courant alternatif fonctionne de manière unidirectionnelle.

Demain, le système ferroviaire s’enrichira de nouveaux services grâce à l’apport des nouvelles technologies, le boom de l’électronique de puissance et des télécoms : on passera d’un système centralisé à un système décentralisé de connexions point à point, tel qu’il est illustré dans le schéma ci-dessous. 

Le réseau ferroviaire du futur (Source : SNCF)

Ce schéma présente les innovations développées par SNCF qui témoignent de la transition vers le Smart grid ferroviaire :

  • la transformation de la gare en microgrid en y installant des moyens de production d’EnR. Une expérimentation est notamment en cours dans la gare d’Aix-en-Provence TGV (voir la page consacrée à ce démonstrateur) où a été mis en place un système de microgrid local réunissant production d’électricité, gestion de bornes de recharge, interfaces de pilotage de consommation, est premier pas vers des échanges d’énergie au niveau d’une gare. C’est l’occasion de mesurer concrètement l’influence de ces échanges d’énergie sur le périmètre restreint de la gare, mais aussi de ses alentours ;
  • le microgrid à bord des trains : il y a aujourd’hui deux grandes familles de trains (thermiques et électriques). SNCF entend développer une nouvelle génération de trains hybrides qui embarqueraient des moteurs diesel et des batteries, le tout dans une optique de gestion énergétique et de nouveaux services ;
  • l’utilisation de batteries pour le secours de la signalisation, les services en gares et les services pour le système électrique, en remplacement des nombreux groupes électrogènes actuellement utilisés. Quitte à installer un moyen de stockage plutôt qu’un groupe électrogène, autant qu’il serve à d’autres services que la simple alimentation de secours pour la signalisation. SNCF étudie au niveau de la sous-station de signalisation de Sarcelles Saint-Brice l’installation d’un système de stockage en remplacement d’un groupe électrogène qui pourrait, d’une part, assurer l’alimentation de secours des systèmes de signalisation, et d’autre part, participer à la gestion énergétique de la gare lorsqu’il n’est pas utilisé en secours ; 
  • la mise en place de sous-stations à courant continu réversibles : SNCF étudie la faisabilité technique et le modèle économique associé. Un premier démonstrateur est en place à la sous-station Masséna à Paris ; 
  • le stockage de l’énergie de freinage ;
  • la mutation des gares en hub de mobilité énergétique, avec, notamment, l’arrivée de la production locale d’hydrogène qui pourrait servir à d’autres mobilités que le ferroviaire. 

On est donc passé d’un système monodirectionnel à un système circulaire avec des connexions point à point : le Smart grid ferroviaire apparaît comme une somme de microgrids, avec une multiplicité de points d’échange énergétique. Il est essentiel de garder à l’esprit que l’ensemble des services rendus par le Smart grid ferroviaire nécessite la mise en place d’un centre de commande et d’agrégation. 

Actuellement, on réfléchit à l’avenir. Sur le réseau de transport d’électricité, on voit de plus en plus le retour à l’utilisation du courant continu. Aujourd’hui, on a un réseau en 1 500 V qui présente des points faibles notamment au niveau de la réduction des pertes et donc des chutes de tension. De l’autre côté, on voit l’essor des moyens de production qui arrivent : on réfléchit à ce que serait l’avenir d’une caténaire en moyenne ou haute tension à courant continu. Pourrait-on alimenter nos trains à partir d’une tension supérieure (par exemple, 3 000 V, 6 000 V, 9 000 V, voir plus) avec l’idée de réduire les pertes en ligne et de mieux s’interfacer aux moyens de production ?