Intervention Le point de vue d'Olivier Menuet sur le Smart grid ferroviaire

Contenu mis à jour le 06/02/2018

Olivier Menuet

Olivier Menuet est Directeur Énergie du groupe SNCF et Président de SNCF Énergie.

Pour le groupe SNCF, l’énergie est un sujet à la fois économique, sociétal et d’aménagement du territoire. L’enjeu énergétique pour SNCF, qui regroupe 6 métiers, va bien au-delà de la simple circulation des trains. Le groupe fait trois usages de l’énergie : le transport ferroviaire, le transport routier et la gestion de son parc immobilier.

Les chiffres clés « énergie » du groupe SNCF en 2015 (Source : SNCF)

Ce graphique Mekko fait apparaître les trois types d’usage (ferroviaire, route et bâtiments) et le poids de chaque source d’énergie relative à chacun de ces usages. La consommation d’énergie annuelle du groupe SNCF s’élève à 16,7 TWh, dont 9,4 TWh de consommation électrique, soit la production d’une tranche de centrale nucléaire pendant un an. Le rectangle électrique ferroviaire à 0,7 TWh correspond aux pertes par effet Joule sur le réseau ferré national. Le rectangle pétrole routier à 0,2 TWh indique lui les consommations de carburants des 20 000 véhicules de services et de travaux. SNCF est le 1er client industriel de la filière électrique française avec 10 % de la consommation industrielle et 3 % de la consommation nationale. C’est également le 1er consommateur français d’électricité, hormis la consommation de RTE pour compenser ses pertes en lignes. Pour l’activité ferroviaire, on remarquera sur le graphique, ci-dessus, que de nombreux trains circulent encore au diesel, de nombreuses lignes n’étant pas électrifiées. Le segment routier est fortement émetteur de carbone. L’usage du gaz dans les bâtiments correspond principalement au chauffage des ateliers, des gares et des logements sociaux (SNCF étant le 1er bailleur social de France).

L’énergie est un enjeu stratégique incontournable pour le groupe SNCF. C’est à la fois :

  • un enjeu de coûts : c’est le 3ème poste de dépense après les salaires et les péages pour la circulation des trains (qui sont payés par SNCF Mobilités à SNCF Réseau). Pour l’année 2015, cela représentait 1,3 Mds€ ; 
  • un enjeu politique : SNCF est très engagé dans la lutte contre le changement climatique, bien qu’il soit, comme le montre le graphique, ci-joint, un opérateur de mobilités comparativement peu émetteur de CO2. Mais la problématique des émissions engendrées par le transport ferroviaire ne s’arrête pas au CO2, car il faut aussi lutter contre la pollution de l’air aux particules fines. Les objectifs fixés par les pouvoirs publics sont de court terme, relativement aux échelles de temps de SNCF qui sont très capitalistiques. SNCF investit dans un train sur 30 à 40, avec une importante opération de régénération à mi-vie, et dans une gare sur 50 à 100 ans. À ce titre, l’interdiction du diesel en 2025 à Paris est donc un enjeu à très court terme pour la SNCF ; 
  • un enjeu technologique : le secteur de l’énergie s’est engagé dans une transition forte, avec un volet technologique important (développement des énergies renouvelables, autoconsommation, hybridation, etc.) ;
  • un enjeu sociétal : le train était un mode de transport propre, pour les personnes et les marchandises, et doit le rester.

Légende de l'image : Émission de CO2 par voyageur pour 1 km parcouru (Source : SNCF)

Le groupe SNCF a mis en place en septembre 2016 sa 1ère politique « Énergie ». Elle comporte 5 grands axes :

  • renforcer la performance économique : avec une facture annuelle de 1,3 Md€, c’est le 1er enjeu pour le groupe ;
  • faire du groupe un acteur influent sur le secteur de l’énergie au service de ses intérêts : s’intéresser à la gestion de l’énergie dans le système ferroviaire, c’est faire se rencontrer deux mondes. Le monde ferroviaire est sur du long terme, alors que le monde de l’énergie connaît actuellement des changements rapides et profonds. Il faut être agile pour faire s’aligner des grandes tendances à 20 ou 30 ans dans le monde ferroviaire et, en même temps, répondre à des demandes immédiates sur les sujets énergétiques ;
  • s’engager dans la transition énergétique ;
  • innover et saisir les opportunités de nouveaux business : le groupe SNCF est forcément dans une situation particulière puisqu’il est le 1er consommateur énergétique en France à un moment où le secteur de l’énergie se transforme ;
  • structurer et se mettre en mouvement. 

Le groupe SNCF a identifié quatre leviers d’action pour s’engager avec ambition dans la transition énergétique :

  • la sobriété énergétique : c’est la question des économies d’énergie. La vitesse des trains est un axe de travail prioritaire : sans modifier l’horaire d’arrivée, est-il nécessaire d’accélérer et de freiner très fort ? Une étude a montré que 20 % des TGV approchent en avance des gares : ils arrivent en avance, s’arrêtent à 500 mètres, patientent quelques minutes et entrent en gare à l’heure. Les conducteurs accélèrent, car ils craignent d’être en retard, alors qu’ils auraient très bien pu optimiser leur consommation d’énergie en linéarisant leur vitesse. En effet, ce sont l’accélération et le freinage qui consomment le plus d’énergie. De la même manière, en hiver certains trains restent à l’arrêt moteur allumé, de peur par période de grand froid, de ne pouvoir les redémarrer ensuite. Ce sont donc un ensemble de vieilles habitudes qu’il faut remettre en question ; 
  • les achats verts : ce sont les PPA « power purchasing agreements » d’EnR. La SNCF possède une filiale SNCF Énergie organisée en salle de marché et qui achète de l’énergie à terme. Il est délicat d’acheter aujourd’hui de l’énergie à 10 ou 20 ans lorsqu’on ne sait pas comment le marché réagira alors à la fin probable du nucléaire et à la montée de la production d’EnR intermittente. SNCF a pourtant besoin de sécuriser ses budgets à 10 ou 20 ans. Une des solutions étudiées est d’avoir des prix fixes sur 10 ou 20 ans, non pas au travers de garanties d’origine mais d’achats de production d’origine renouvelable (solaire, éolien, hydraulique). On parle alors de contrats à très long terme pour couvrir jusqu’à 20 % du besoin du groupe ; 
  • les énergies de sources renouvelables (EnR) : production et autoconsommation. L’autoconsommation permet de sortir de l’inconnue que constitue la volatilité du marché. Le groupe SNCF possède un patrimoine immobilier non négligeable composé de toitures, de bords de voies mais aussi de de parkings et de bases de travaux, qui pourrait être équipé de panneaux photovoltaïques pour faire de l’autoconsommation ; 
  • vers le zéro émission (gaz à effet de serre, particules, NOx, etc.) : il s’agit d’amorcer la transition vers des vecteurs énergétiques moins polluants en ayant recours à l’électrification des lignes, à des bio-carburants, à des pompes à chaleur, etc. Le « zéro émission » ne sera pas atteint demain, car il est prévu que certains trains diesel circulent encore dans 10 ou 20 ans. Il faut donc s’engager dans l’hybridation des trains et de tous les moyens de transport du groupe (voyageurs, marchandises, ferroviaire, routier, etc.), réfléchir au passage au bio-carburant et à l’électrification frugale des lignes, ou encore identifier de nouveaux vecteurs énergétiques comme l’hydrogène. L’ensemble de ces solutions sera opérationnel à l’horizon 2040/2050.