3 questions à La R&D sur les Smart grids de RTE par Jean Pompée (RTE)

Contenu mis à jour le 01/09/2017

Jean Pompée

Jean Pompée est directeur Smart grids à la direction R&D de RTE.

1. Pouvez-vous nous présenter les grands axes de R&D de RTE sur les Smart grids ? Les grands projets en cours ?

La transition énergétique couplée à la révolution numérique constitue une rupture technologique et sociétale qui nécessite d’introduire plus d’intelligence dans le système électrique.

Le réseau de transport d’électricité est déjà intelligent : RTE a toujours mesuré en temps-réel les flux d’électricité dans le réseau et ajusté les connexions du réseau en conséquence. Et depuis plusieurs années, RTE intègre des technologies de pointe dans ses infrastructures (contrôle-commande numérique, capteurs, monitoring temps réel, simulation, Big Data, drones…) et fait évoluer ses outils pour améliorer sans cesse le fonctionnement du système électrique. L’objectif ? Permettre davantage d’interactions entre tous les acteurs et une meilleure gestion du système électrique français et européen… Mais aussi développer l’agilité, la réactivité et l’efficacité de ce système.

Aujourd’hui, RTE va plus loin en renforçant encore ses investissements et sa recherche et développement (R&D) dans le domaine des Smart Grids.

Sur l’exploitation du réseau, RTE réfléchit à la manière d’exploiter le réseau au plus près de ses capacités techniques :

  • grâce à la virtualisation du contrôle commande numérique c’est-à-dire l’intégration de l’ensemble des fonctions de contrôle commande d’un poste dans un seul serveur au lieu de les répartir dans un grand nombre d’équipements ;
  • au moyen de nouveaux leviers d’action sur les flux, comme des automates de zone (outils qui permettent de reconfigurer automatiquement l’aiguillage des flux sur le réseau et d’agir sur les productions d’énergies de source renouvelable locales), des impédances variables (outil qui permet de jouer sur les caractéristiques des lignes électriques pour modifier les flux : regardez cette vidéo du projet Smart modules), ou encore l’activation de nouveaux types de flexibilités tels que le stockage par exemple ;
  • avec des mesures en temps réel ce qui permettrait d’utiliser le matériel au maximum de ses possibilités. Par exemple, la mesure en temps réel de la température des lignes et de leur environnement (météo, vent) permet d’ajuster la capacité d’évacuation de la puissance d’un parc éolien (Dynamic Line Rating) ;
  • en évaluant l’apport d’outils innovants tels que l’intelligence artificielle ou le big data dans la conduite du réseau.
Installation d’un capteur DLR sur une ligne aérienne (Source RTE)

Sur la gestion des actifs, RTE imagine une nouvelle vision inter-métiers de la maintenance et du renouvellement des ouvrages du réseau, en prenant en compte le cycle de vie complet de nos ouvrages, de leur conception jusqu’à leur recyclage, ce qu’illustrent notamment :

  • des outils de simulation des systèmes complexes tels que MONA (Management & Optimization of Network Assets), développé avec notre partenaire CosmoTech (étude sur la corrosion des lignes aériennes, étude sur les fuites de gaz SF6 dans les postes sous enveloppe métallique) ;
  • de nouveaux outils pour le monitoring, par exemple la mesure du niveau de corrosion réel des pylônes, qui permet d’adapter les politiques de maintenance aux besoins réels ;
  • le déploiement des drones et des LIDAR (Light Detection and Ranging - technique de mesure à distance fondée sur l’analyse des propriétés d’un faisceau de lumière (laser) renvoyé vers son émetteur pour détecter les anomalies, améliorer la gestion de la végétation aux abords de nos ouvrages (élagage) et approfondir la connaissance patrimoniale de nos ouvrages ;
  • Belive : valoriser la présence et l’empreinte physique de notre réseau, qui apporte plus que l’électricité, que ce soit via la fibre optique ou en développant des corridors verts favorisant la biodiversité sous nos lignes.

Un enjeu important pour la R&D est d’expérimenter ces solutions sur le terrain. A ce titre, le projet Poste intelligent a permis à RTE et ses partenaires d’imaginer et tester sur le réseau, en situation réelle, un nouveau poste électrique tout numérique facilitant l’intégration des EnR.

RTE va encore plus loin dans le passage à l’échelle industrielle de ces solutions. À cet égard, RTE contribue aux projets Smile et Flexgrid, portés respectivement par les régions Bretagne – Pays de la Loire et PACA et soutenus par l’État, en installant sur ces territoires un ensemble de solutions innovantes à hauteur de 40 M€ entre 2017 et 2020. Ces démonstrateurs Smart grids à grande échelle constituent, entre autres, de formidables opportunités pour le gestionnaire du réseau de transport de déployer largement ces innovations issues de la R&D sur le réseau. Ainsi, RTE va déployer 4 Postes Nouvelle Génération, basés sur le retour d’expérience de projets R&D tels que Poste Intelligent, dans l’ouest dans le cadre du projet Smile.
 

2. Pouvez-vous en particulier nous présenter votre projet de « ligne virtuelle » et, plus largement, vos axes de recherches sur l’utilisation du stockage d’énergie ?

Pour répondre aux évolutions en cours dans le secteur de l’énergie (renforcement des incertitudes sur l’évolution de la consommation, développement plus rapide et moins prévisible de la production décentralisée, apparition de nouveaux acteurs au sein du système électrique), la stratégie de RTE est de disposer d’un large éventail de solutions de flexibilité, qui émergent grâce aux ruptures numériques, technologiques, voire comportementales. Parmi ces solutions, RTE travaille sur de nouveaux leviers d’action sur les flux, par exemple des automates topologiques, des impédances variables, ou encore… les RINGO.
Présentées comme des lignes virtuelles, les « RINGO » sont des équipements de réseaux composés de technologies de stockage localisables dans les postes de RTE (batteries électrochimiques par exemple), d’onduleurs (électronique de puissance) et de solutions logicielles (contrôle avancé). Ces équipements sont programmables et peuvent donc remplir différentes fonctions (synchronisation, participation à l’équilibre offre/demande, à la gestion de la fréquence - services-systèmes- et des congestions). Ils créent ainsi des lignes virtuelles, stockant d’un côté et déstockant de l’autre de lignes physiques existantes, ce qui permet de résorber les congestions intermittentes.

Ce faisant, les lignes virtuelles opèrent, à bilan énergétique nul, un ensemble d’équipements de stockage répartis sur le réseau. La vidéo ci-dessous présente le principe de ces lignes virtuelles.

Plus généralement, la R&D de RTE réfléchit à la manière dont les installations de stockage, comme toute nouvelle technologie s’insérant sur le réseau, peuvent aider le gestionnaire du réseau de transport à remplir au mieux ses missions.

Ainsi, la R&D de RTE participe au projet européen OSMOSE financé par le programme de recherche européen H2020. Ce projet vise à anticiper les besoins de flexibilités pour l’intégration croissante d’énergies renouvelables sur les réseaux. Il s’agit d’une approche globale considérant l’ensemble des besoins en flexibilités (équilibrer l’offre et la demande sur les marchés de l’énergie, optimiser les services systèmes existants et futurs et permettre la gestion dynamique du réseau) et des sources de flexibilités (notamment stockage, gestion de la demande, flexibilité des EnR).

Une des activités de RTE dans ce projet est d’installer un démonstrateur fondé sur des batteries, qui testera la mise en place de technologies de stockage pour plusieurs services, tels que la synchronisation, l’équilibre offre/demande, la gestion de la fréquence et des congestions. La conjonction de ces services et leur valorisation devrait permettre de mieux rentabiliser à terme les solutions de stockage.

3. Comment les activités de R&D de RTE sont-elles organisées au sein de l’entreprise ?

La Commission de régulation de l’énergie a sanctuarisé au sein du tarif d’utilisation des réseaux publics d’électricité (qui constitue les ressources financières de RTE) une enveloppe dédiée aux investissements de R&D. Ce budget R&D de RTE est partagé en deux parts à peu près égales : des équipes en interne pour développer mais surtout valider que les solutions de R&D peuvent être déployées comme outils industriels, et des collaborations multiples, en France, en Europe et en Amérique du Nord, pour suivre et anticiper l’évolution des systèmes électriques et des matériels.

La R&D de RTE est réalisée au sein de différentes entités de l’entreprise :

  • en premier lieu, au sein de la direction R&D elle-même sur toutes les dimensions « système électrique » (dimensions technique, économie, régulation). Cela représente une centaine de personnes ;
  • mais aussi au sein du Centre national d’expertise Réseau (le CNER), pour les questions relatives aux infrastructures et aux matériels ;
  • au sein de la Direction des Systèmes d’Information et Télécommunications (DSIT), pour les questions relatives aux systèmes d’informations et aux télécoms ;
  • au sein de la Direction RSE (Responsabilité Sociétale d’Entreprise) et du département Concertation Environnement pour ce qui concerne l’environnement, la biodiversité, les attentes sociétales, etc.

Bien sûr la R&D de RTE s’étend aussi au-delà de l’entreprise. En effet, RTE a toujours travaillé avec un écosystème de partenaires universitaires étendu, en France, en Europe et en Amérique du Nord. De nouveaux types de partenariats, avec des start-up et d’autres industriels, ont été lancés ces dernières années et continueront de se développer. Au-delà des relations bilatérales, nous favorisons l’émergence et le développement d’écosystèmes spécialisés sur chaque thème de recherche.

Quelques exemples de collaboration :

  • industrielle : la R&D de RTE travaille aussi à l’évaluation de l’apport de flexibilités hors du réseau électrique : nous participons ainsi au projet Jupiter 1000 piloté par GRTGaz, consistant à développer un démonstrateur d’installation Power to gas, et à évaluer son apport au système en termes de flexibilités ;
  • académique : la généralisation du numérique dans tous les équipements électriques pose de nouveaux défis : cybersécurité, mais aussi interopérabilité, interactions entre ces équipements de plus en plus rapides, modalités de coordination d’ensemble. RTE travaille avec CentraleSupélec dans le cadre d’une chaire de recherche sur ces sujets ;
  • européenne : le projet OSMOSE a été évoqué précédemment, la R&D de RTE participe également, entre autres, au projet MIGRATE (Massive InteGRATion of power Electronic devices) qui a pour objet d’étudier l’impact de l’intégration des énergies de sources renouvelables et de l’électronique de puissance sur le fonctionnement dynamique du réseau et sur la stabilité du système.

4. À quelles difficultés, potentiellement récurrentes, RTE se heurte-t-il dans la conduite et le financement de ses projets de R&D sur les Smart grids ?

La R&D de RTE a besoin de travailler en concertation avec l’ensemble des acteurs de la chaîne de valeur pour concevoir et tester des solutions cohérentes. Les démonstrateurs financés dans le cadre des Investissements d’avenir de l’ADEME ou du programme de recherche H2020 de la Commission européenne, et qui associent sur le même terrain de jeu un grand nombre d’acteurs concernés par l’évolution du système électrique sont, à ce titre très importants pour permettre à RTE de mener à bien ces projets de R&D.

Par ailleurs, le passage d’une phase de démonstrateurs de R&D au déploiement industriel n’est jamais évident. La préoccupation de la R&D de RTE est de rendre les solutions Smart connues et faciles d’accès à tous les acteurs ayant à choisir des solutions techniques face aux contraintes auxquelles ils sont confrontés. Comme dans toute démarche du changement, c’est à ce moment-là que de nouveaux obstacles peuvent apparaître : risque technique, régulation financière différente (Capex vs. Opex).

5. D’après vous, quelles actions le régulateur de l’énergie pourrait-il mettre en place pour améliorer son soutien à la R&D dans le domaine des Smart grids ?

La Commission de régulation de l’énergie (CRE) a mis en place, depuis 2013, un dispositif destiné à donner à RTE les moyens pour mener à bien les projets de R&D et d’innovation nécessaires à la conception des réseaux électriques de demain, en garantissant notamment l’absence de frein tarifaire.

La trajectoire des dépenses de RTE consacrées à la R&D, prévues dans le TURPE 5, est ainsi d’environ 35 M€ par an/an millions d’euros sur la période 2017-2020. En outre, la CRE publie tous les deux ans un rapport destiné à donner aux acteurs du secteur de l’électricité de la visibilité sur les travaux menés par RTE.

Nous l’avons vu, l’expérimentation de solutions de R&D sur le terrain reste une étape indispensable, qui peut cependant s’avérer parfois problématique au regard de la réglementation en cours. A ce titre, le TURPE 5 introduit un dispositif permettant à RTE de demander, une fois par an, l’intégration des surcoûts de charges d’exploitation liés à des projets relevant du déploiement des Smart grids, afin de faciliter le lancement d’expérimentations Smart Grids et surtout leur industrialisation. La mise en œuvre d’un « bac à sable » réglementaire par le régulateur, permettant de tester certaines innovations dans un cadre spécifique, pourrait également faciliter et accélérer la diffusion de nouvelles solutions Smart grids.