Intervention Le point de vue d'Eric Mazoyer (Bouygues Immobilier) sur la blockchain

Contenu mis à jour le 10/10/2017

Eric Mazoyer

Eric Mazoyer est directeur général délégué de Bouygues Immobilier.

Construire un bâtiment à énergie positive

Des premiers bâtiments à énergie positive...

Fondamentalement, le métier de Bouygues Immobilier est de créer des espaces de vie, des appartements, des bureaux pour les entreprises, des centres commerciaux ou encore des endroits pour se divertir.

Lorsqu’il y a une dizaine d’années Bouygues Immobilier a basculé vers une stratégie de développement durable, l’entreprise s’est logiquement lancée dans la construction d’immeubles à énergie positive, c’est-à-dire d’immeubles qui en sus de consommer peu d’énergie en produise. Cela revenait pour l’entreprise à changer de métier, puisqu’en plus de construire des espaces de vie, il s’agissait de construire des centrales énergétiques. La première question qui s’est posée a été de savoir que faire de cette énergie. De manière évidente, les premières opérations de ce type réalisées se sont faites dans le cadre d’un contrat de partenariat et de revente de l’énergie produite avec EDF. Les conditions de ces conventions étaient particulièrement intéressantes pour un promoteur immobilier comme Bouygues Immobilier, puisque l’énergie que le bâtiment produisait pour 8 centimes d’euros était rachetée 60 centimes d’euros par EDF.

Rapidement, ce modèle est apparu déséquilibré et le modèle a été modifié. Il est devenu évident aux deux parties qu’il était plus intelligent pour ces bâtiments à énergie positive d’autoconsommer ce qui était produit pour deux raison :

  • cela évite d’injecter dans le réseau de l’énergie non prédictive, c’est-à-dire sans que cela soit prévu par Enedis ;
  • autoconsommer contribue à faire baisser la demande en énergie.

...aux immeubles en autoconsommation

On en est rapidement arrivé à un changement d’échelle puisque l’on est passé de l’immeuble à énergie positive au territoire à énergie positive. Faute de dispositifs de stockage de l’énergie suffisamment matures, il est apparu qu’il y avait une vraie intelligence à produire des morceaux de ville « mixtes » en mélangeant des immeubles commerciaux, de logement et de bureau, leurs occupants ne consommant pas tous au même moment. Cela permet de mieux répartir la consommation des bâtiments et ainsi d’éviter le problème du stockage de l’énergie, qui est une vraie préoccupation.

L’ambition affichée était de mettre les consommateurs au cœur de cette problématique énergétique. Rapidement, ils sont apparus très intéressés par le sujet et ont fait savoir qu’ils souhaitaient comprendre ce qu’ils consommaient, à quel moment ils consommaient soit de l’énergie verte soit de l’énergie du réseau. La question de l’accès aux données énergétiques personnelles a posé problème, avec une double exigence vis-à-vis de la loi et de l’habitant :

  • il s’est révélé difficile d’obtenir des données de la part du distributeur ;
  • leur utilisation est extrêmement encadrée du point de vue de la confidentialité, car le promoteur immobilier ne peut pas accéder à des données précises pour éviter d’être intrusif et respecter la vie privée des occupants ;
  • obtenir ces données signifie passer par un tiers de confiance ce qui est payant.

De ce fait, Bouygues a fait le choix d’un système complétement fermé, c’est un dire d’un système d’échange d’information entre tous les habitants d’un éco-quartier avec son réseau privé. Cette idée s’est concrétisée dans le démonstrateur Eurêka à Lyon Confluence qui concerne un îlot d’une douzaine de bâtiments mixtes (logements, commerce, bureaux et équipements publics) montés sur un parking mutualisé et qui sont connectés les uns aux autres. La municipalité a accepté de faire de cet éco-quartier un test pour voir quelles modifications réglementaires seraient nécessaires au fonctionnement en autarcie de l’îlot, pour qu’il puisse vivre pratiquement décroché du réseau.

Dans le cadre de ce projet, il a fallu trouver une solution pour informer les habitants à moindre coût et de manière sécurisée. C’est là que la blockchain entre en jeu. À Lyon Confluence, chaque acquéreur de ce futur îlot se verra attribuer une adresse URL cryptée privée qui lui permettra de partager des informations confidentielles et échangées de tiers à tiers sans passer par un tiers de confiance.

Le démonstrateur Eurêka à Lyon Confluence (Source : Bouygues Immobilier)

Pourquoi avoir choisi la blockchain ?

Le recours à la blockchain est pertinent pour au moins trois raisons :

  • elle est inviolable et protège donc efficacement les données. Il y a tout de même une limite qui est la clé donnée à chaque porteur d’adresse URL. Les données sont inviolables pour peu que la clé ne soit pas volée ou mise dans des mains impropres ;
  • elle est faible de coût puisqu’il n’y a pas de tiers de confiance à rémunérer. En l’occurrence, l’objectif pour Bouygues Immobilier était de ne pas dépasser 200 à 300 €/appartement (en prenant en compte les CAPEX et l’OPEX sur 10 ans) ;
  • distribuée, la blockchain a un caractère participatif ce qui implique et responsabilise les habitants. Dans l’immobilier, on ressent de plus en plus une demande dans ce sens des occupants. Pour développer la multitude d’espace de co-working, de co-living, etc. souhaités par les consommateurs, les promoteurs immobiliers qui sont propriety et community manager doivent développer des plateformes numériques de partage d’informations : la blockchain est le parfait exemple d’un outil pertinent dans ce contexte.

La blockchain a un intérêt futur car, même si ce n’est pas encore le cas aujourd’hui, on peut imaginer à terme l’utiliser pour des échanges monétaires. À partir du moment où il y a des quantités enregistrées sur une blockchain, il suffirait de leur affecter un prix pour qu’un occupant au 5ème étage décide de vendre à son voisin du 4ème l’électricité produite par ses panneaux photovoltaïques. On peut ainsi imaginer ce qui est interdit par le droit aujourd’hui : une plateforme privée d’échanges d’énergie entre logements, bureaux et commerces sur un îlot. Pour ce faire, il faudrait notamment instaurer un statut d’autoproducteur individuel d’énergie, quitte bien entendu à respecter un certain nombre de conditions, y compris de tarification, imposées par le régulateur.

En l’état, la blockchain est d’ores et déjà un outil pertinent pour informer les acquéreurs en pleine confiance. En effet, lorsqu’on vend un appartement à énergie positive, il faut disposer d’un outil d’information fiable libre d’utilisation par le propriétaire et lui permettant de constater le fonctionnement de l’écosystème énergétique à l’intérieur de l’appartement ou de la copropriété. De plus, la blockchain est une technologie sécurisée et économique, qui offre la possibilité de faire de l’autoconsommateur un acteur de son énergie.

La blockchain pour le Smart grid à Lyon Confluence, c’est :

  • un outil d’information sécurisée pour connaître son taux de consommation d’énergie locale ;
  • une réponse au souhait de consommation « locavore » et d’information des habitants ;
  • une blockchain « privée » qui permet d’ailleurs à terme de dépasser le simple cadre de l’énergie, puisqu’elle pourrait devenir la vraie plateforme d’échanges, monétisée ou environnementale, entre les habitants d’un même îlot.

Et ensuite ? Vers un système communautaire de gestion du bâtiment

La blockchain une fois installée est très polyvalente :

  • elle valorise l’autoconsommation : elle permet de mieux comprendre à tout moment ce qu’on produit et ce qu’on consomme de façon individuelle et collective ;
  • c’est un outil d’échanges de services ou de marchandises entre commençants et habitants du quartier : c’est aussi pour eux l’occasion d’appartenir à une communauté d’intérêt et une communauté bien intelligente en termes d’énergie, ce qui permet de se motiver collectivement et individuellement ;
  • c’est un outil de suivi d’avancement des tâches incombant au syndicat de copropriété, puisque finalement le syndicat de copropriété sera aussi au cœur de la blockchain qui permet à tous les acteurs d’interagir ;
  • c’est une répartition des frais liés à l’usage d’une infrastructure mutualisée au même titre qu’un réseau privé peut être mutualisé à l’échelle de la copropriété.

Quels sont les risques liés à l’utilisation de cette technologie dans le bâtiment ? Il faut garder à l’esprit que traditionnellement l’industrie du bâtiment est à très faible rupture technologique. Par conséquent, utiliser une technologie très innovante comme la blockchain n’est pas rien. Il faut d’abord souligner que la blockchain informe, elle ne travaille pas. Elle n’a donc pas vocation à remplacer les personnes qui font fonctionner le bâtiment. Elle rend l’information vérifiable par tous et réduit le coût d’accès à cette information.

La blockchain porte la promesse d’être la technologie de gestion de la donnée des bâtiments exploités, administrés et occupés en bonne intelligence : elle pourrait se révéler un véritable outil de valorisation des smart buildings.