3 questions à La R&D sur les Smart grids d'Enedis par Pierre Mallet (Enedis)

Contenu mis à jour le 01/07/2017

Pierre Mallet

Ancien élève de l’École Polytechnique et de l’École des Mines de Paris, Pierre Mallet est actuellement Directeur R&D et Innovation d’Enedis, en charge du programme de R&D de l’entreprise et du développement de solutions innovantes pour la gestion du réseau de distribution. Outre onze années passées chez EDF R&D et six années chez EDF et Gaz de France comme directeur d’unité opérationnelle, il a exercé pendant trois ans au sein de la Commission Européenne (DG Energie) pour préparer l’ouverture des marchés dans le secteur électrique. Il est par ailleurs Président du Comité Technique et du Comité National Français et vice-président du Comité Directeur du CIRED (Conférence Internationale des Réseaux Électriques de Distribution), ainsi que membre français du Comité Réseau d’Eurelectric et conseiller du Board d’EDSO (Association européenne des gestionnaires de réseaux de distribution).

1. Pouvez-vous nous présenter les grands axes de R&D d’Enedis dans les Smart grids ?

Le programme de R&D et d’innovation d’Enedis contribue à l’élaboration d’une vision de long terme et à l’identification des ruptures technologiques. Il vise aussi à concevoir des solutions industrielles concrètes dans des délais maîtrisés. Il est articulé autour de deux grandes thématiques : améliorer la performance industrielle et faciliter la transition énergétique.

Les travaux menés pour améliorer la performance industrielle sont organisés suivant les quatre axes suivants :

  • Innover pour garantir la performance dans la durée d’un actif industriel vital

De nouvelles approches statistiques sont développées pour améliorer les méthodes de choix d’investissement en utilisant, en particulier, l’opportunité offerte par l’utilisation des données qui seront, avec le déploiement du compteur Linky, à la fois plus nombreuses et plus précises.

Les méthodes de type Big Data et Data Analytics, le développement du monitoring des réseaux et les solutions fondées sur l’Internet des objets (dit IoT) font l’objet de recherches dans le but d’améliorer nos politiques de renouvellement et de maintenance. L’utilisation de drones et de techniques avancées de traitement d’image contribueront aussi à cet objectif.

Des travaux sont en outre menés sur des composants innovants, notamment des capteurs adaptés à nos besoins spécifiques.

  • Développer l’intelligence des réseaux de distribution

L’objectif est en particulier d’accroître les capacités d’observabilité et de pilotage depuis les Agences de conduite régionale (ACR) pour un meilleur traitement des événements en temps réel (concept de réseau auto-cicatrisant).

Le projet de « Poste HTA/BT smart » vise à transformer progressivement certains de ces postes de distribution en véritables nœuds d’intelligence et de remontée d’informations ciblées.

La question de la cybersécurité occupe aussi, évidemment, une place importante dans nos travaux.

  • Inventer le technicien 3.0

Cet axe de R&D doit permettre d’équiper les techniciens en intervention sur le terrain d’outils numériques performants, notamment fondés sur les techniques de réalité virtuelle ou de réalité augmentée. Les gains attendus sur la qualité des interventions, la gestion de la connaissance du patrimoine, la fluidité des processus, mais aussi la sécurité pour les agents, sont importants.

  • Adapter la relation clientèle à la révolution numérique

Il s’agit ici, par exemple, de concevoir une solution pour mettre à disposition des données (approche open data) sur les espaces clients consommateurs et producteurs, de préparer des outils de type self-care pour simplifier les démarches pour le raccordement en basse tension (BT), de préparer la mise en place d’un réseau social géolocalisé pour communiquer avec les clients, de créer des espaces communautaires sur le site Internet d’Enedis ou encore d’imaginer comment les techniques de l’intelligence artificielle vont nous permettre d’améliorer nos dispositifs de relation clientèle.

La partie du programme visant à faciliter la transition énergétique est organisée suivant les trois axes suivants :

  • Faciliter l’intégration des énergies de source renouvelable (EnR) et d’accueillir les véhicules électriques, tout en garantissant la sûreté du système électrique

L’intégration de la production décentralisée intermittente, le développement de la gestion active de la demande, des véhicules électriques et hybride rechargeable et du stockage décentralisé imposent une évolution du rôle du distributeur. Enedis consacre une part importante de ses projets de R&D à ces sujets.

Il s’agit par exemple de concevoir des offres de raccordement intelligentes pour les producteurs et de permettre l’utilisation des flexibilités en planification, gestion prévisionnelle et conduite. Des solutions fondées sur l’intelligence artificielle sont explorées pour améliorer les prévisions de production EnR et de consommation. Des approches innovantes sont testées pour la tenue de la tension.

Les travaux portent aussi sur l’intégration des acteurs d’effacement et du stockage décentralisé.

L’évolution de la gestion de l’interface entre les gestionnaires des réseaux de distribution et de transport est analysée, afin de continuer à garantir la sûreté d’un système qui se transforme de façon radicale.

Pour faciliter le développement des véhicules électriques, des actions de recherche portent notamment sur l’optimisation du volume des investissements de renforcement du réseau électrique, sur le contrôle de l’impact des infrastructures de recharge sur la qualité de l’électricité acheminée, sur le pilotage intelligent de la recharge, sur les solutions pour la recharge en résidentiel collectif et sur le « vehicle to grid ». Enedis vise à faciliter la mise en œuvre des nouveaux modèles d’affaires et des services de mobilité.

  • Préparer les solutions de gestion des données

Afin de préparer le distributeur à sa mission d’opérateur neutre de la gestion sécurisée des données de distribution, mettant à disposition des acteurs externes (collectivités, utilisateurs du réseau, fournisseurs de services) des données fiables et précises, les actions de R&D visent à développer des solutions technologiques pour le traitement des données massives (Big Data) et à maîtriser les problématiques de cybersécurité.

Enedis est aussi engagé dans le projet de recherche européen Flexiciency, financé dans le cadre du programme cadre de l’UE pour la recherche et l’innovation H2020, visant à concevoir un portail pan-européen pour les échanges de données entre les acteurs du système électrique permettant le développement de nouveaux services innovants.

Des travaux sont de même menés pour renforcer la démarche Open Data de l’entreprise.

  • Accompagner les projets des « smart territoires »

Des travaux de R&D ont pour objectif de permettre à Enedis d’accompagner le développement des villes ou des territoires intelligents, des zones à énergie positive, ainsi que l’émergence des communautés énergétiques locales et des microgrids.

2. Pouvez-vous nous présenter votre dispositif de R&D « Open innovation » ? Quelle valeur ajoutée trouvez-vous à une telle approche des travaux de recherche pour une entreprise de la taille d’Enedis ?

Enedis s’est engagée depuis plusieurs années dans le développement de nouveaux modes d’innovation plus agiles. La démarche Open Innovation d’Enedis a pour objectif d’identifier les idées et les concepts de partenaires innovants (start-up, PME), puis de les soumettre aux épreuves des expérimentations.

La démarche cumule deux dispositifs :

  • Une veille technologique permanente, principalement en France mais aussi à l’étranger, qui permet à Enedis de détecter des start-up proposant des solutions innovantes autour de ses métiers ou problématiques. Après approfondissement, les meilleures solutions font ensuite l’objet de tests coordonnés entre les opérationnels et les experts nationaux.
  • Une démarche « push » qui s’appuie sur des concours de l’innovation lancés par Enedis. Le premier, lancé en 2015 en partenariat avec l’Association Think Smartgrids, s’est inscrit dans le plan « Réseaux Électriques Intelligents » de la Nouvelle France Industrielle. Il a permis d’identifier de nombreux projets intéressants et a produit des résultats concrets, puisque plusieurs solutions issues de cette démarche sont aujourd’hui utilisées de façon opérationnelle dans l’entreprise. Un second concours s’est déroulé en 2017 et a de même rencontré un succès important.

Le bilan de la démarche est donc très positif. Elle nous a permis de développer des solutions innovantes dans des domaines aussi variés que la réalité augmentée ou virtuelle pour le technicien 3.0, le big data pour l’optimisation de la maintenance, l’IoT pour l’exploitation du réseau ou la sécurité des salariés ou encore l’intelligence artificielle pour la relation clientèle.

L’agilité des partenaires, leur complémentarité de compétences avec les équipes d’Enedis et la stimulation de l’intelligence collective sont les points forts de cette approche.

3. Quel regard portez-vous sur les mécanismes de financement de la R&D dans le domaine des Smart grids ? Quelles actions le régulateur de l’énergie pourrait-il mettre en place pour améliorer son soutien à la R&D dans le domaine des Smart grids ?

Les mécanismes de financement nationaux et européens (programme H2020) constituent un levier efficace pour construire des projets de recherche collaborative associant de nombreux partenaires. Enedis est ainsi présent dans une vingtaine de démonstrateurs Smart grids qui permettent d’expérimenter les différentes solutions en situation réelle, dans une approche système, avec l’ensemble des parties prenantes. L’objectif est d’intégrer les résultats dans une vision globale du réseau du futur.

Il faut aussi souligner le rôle très important dans le financement de nos travaux du dispositif de Crédit Impôt Recherche. Il nous permet de mener des actions ambitieuses qui ne pourraient être envisagées en son absence.

La Commission de régulation de l’énergie (CRE) a mis en place un dispositif destiné à donner à Enedis les moyens pour mener à bien les projets de R&D et d’innovation nécessaires à la conception des réseaux électriques de demain, en garantissant notamment l’absence de frein tarifaire.

La trajectoire des charges d’exploitation d’Enedis consacrées à la R&D, prévues dans le tarif d’utilisation du réseau, est ainsi d’environ 56 M€ par an en moyenne sur la période 2014/2020. En outre, la CRE publie tous les deux ans un rapport destiné à donner aux acteurs du secteur de l’électricité de la visibilité sur les travaux menés par Enedis.

Ce dispositif fonctionne bien et le régulateur doit veiller à permettre à la R&D de s’inscrire dans les temps longs nécessaires pour maintenir ou constituer les pôles d’excellence, notamment en France, indispensables pour faire émerger les solutions innovantes. Il peut ainsi contribuer à asseoir le leadership technologique d’Enedis et de la filière industrielle française dans la révolution des Smart grids et à renforcer leur rayonnement international.