La flexibilité énergétique des transports guidés

Contenu mis à jour le 06/12/2020

Cette section a été rédigée par

Tony Letrouvé et Guillaume Gazaignes, de SNCF Innovation & Recherche

Les systèmes de transports guidés ont la particularité de rassembler des consommations d’énergie variées :

  • les profils de consommation varient : non seulement, la puissance appelée (kW) fluctue au cours d’une journée, mais aussi le volume d’énergie consommée (kWh) ;
  • les usages de cette énergie sont très nombreux. Ils sont néanmoins fortement imbriqués et interdépendants. Par exemple, un train de 1 000 voyageurs ne pourrait pas desservir la nuit une gare dont les quais ne seraient pas éclairés. De même, une signalisation ferroviaire défaillante ne permettrait pas d’exploiter pleinement la capacité de l’infrastructure et réduirait le nombre de voyageurs ou marchandises à transporter.

L’énergie est donc une ressource essentielle pour assurer l’ensemble des activités des transports guidés.

La maîtrise de l’énergie repose alors sur deux leviers que sont l’efficacité énergétique et la flexibilité énergétique. L’efficacité énergétique consiste à concevoir des procédés de manière à ce que la consommation d’énergie relative à leur exécution soit juste nécessaire à la bonne atteinte de leur objectif fonctionnel. La flexibilité énergétique est un moyen de rendre des services supplémentaires au réseau ferroviaire ou aux réseaux qui lui sont interconnectés. Ainsi, nous pouvons maîtriser les pics de puissance des trains pour éviter l’endommagement des installations fixes de traction électrique ferroviaires, ou encore pour participer à l’équilibre des réseaux publics d’électricité.

La flexibilité

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1. Des technologies en gestion multi-niveaux

L’amélioration de cette maîtrise suppose aujourd’hui l’utilisation de systèmes commandables – aussi appelés actifs, tels que les systèmes de stockage (batteries, condensateurs, volants d’inertie), les transformateurs électroniques, les énergies renouvelables et certaines technologies de l’hydrogène. Ces technologies sont matures et de plus en plus compétitives. Toutefois l’investissement et l’intégration de ces systèmes actifs ajoute des interactions dans un réseau ferroviaire électrique qui se complexifie déjà (Figure 1). Le développement et la mise en place d’un gestionnaire de réseau intelligent, le Smart Grid, apparaît comme une évidence pour à la fois :

  • assurer la stabilité du réseau existant et futur par une intelligence distribuée ;
  • valoriser les investissements en développant de nouveaux business qui reflètent un appétit global des consommateurs pour plus d’intelligence dans tous nos usages quotidiens.
Vision du réseau électrique ferroviaire (Source : SNCF)

L’intelligence locale permet d’améliorer la performance technique et la robustesse de l’infrastructure ferroviaire. En effet, les sous-stations ou les Équipements d’Alimentation des Lignes Électriques (EALE) sont dimensionnés pour délivrer une puissance maximale, caractérisée par une tension nominale et une intensité variable, comme l’illustrent les graphiques ci-après. Si les trains appellent une puissance faible, le rendement électrique global est faible et les pertes électriques sont importantes. Si les trains appellent une puissance trop importante, l’infrastructure est trop sollicitée et les conditions de circulation sont dégradées (tension caténaire trop basse et puissance sous-station au-delà de la puissance de raccordement).

L’intelligence locale limite la puissance appelée et borne la tension caténaire (Source : SNCF)

Le Smart grid permettra de reconsidérer les renouvellements de sous-stations grâce à une gestion locale en temps réel de la consommation des matériels roulants. Cette philosophie est également applicable dans le cadre de l’intégration des nouvelles mobilités dans l’environnement de la gare. En effet, l’ajout de quelques stations de recharge de véhicules électriques peut avoir un impact important sur la facture énergétique de la gare et peut même amener à reconsidérer son alimentation (si le transformateur est sous-dimensionné, notamment). La commande en temps réel de ces bornes dans un objectif de limiter leur impact prend tout son sens.

L’intelligence globale participe à l’équilibre de l’infrastructure électrique nationale par l’intermédiaire des mécanismes régulés assurant la stabilité du réseau (capacité, ajustement, etc.). Avec les fonctions de Smart grid, SNCF pourrait tirer deux avantages de ce mécanisme :

  • la réduction des consommations aux heures de pointes hivernales, ce qui réduirait ses obligations et donc sa facture ;
  • l’ouverture à un nouveau business grâce à la flexibilité et l’effacement tel qu’illustré par les graphiques ci-dessous. SNCF a étudié sa potentielle participation au mécanisme d’effacement. En France, avec une consommation annuelle de 8 TWh, SNCF est le premier consommateur et peut devenir un acteur majeur des marchés de capacité de l’électricité. Différents mécanismes d’effacement sont disponibles sur le marché français et de nombreuses variantes existent à l’international.
La flexibilité permet d’effacer une partie de la consommation et de limiter l’impact financier du marché de l’électricité (Source : SNCF)

Premier consommateur d’électricité en France, SNCF représente une charge importante pour le réseau national. Le foisonnement de gares, de trains et de moyens de production ou de stockage est vu comme un gisement de flexibilité important non exploité pour le réseau. De par l’augmentation des énergies renouvelables intermittentes et les fermetures à venir de centrales thermiques (nucléaire inclus), cette flexibilité aura de plus en plus de valeur pour le gestionnaire du réseau public de transport. Finalement, outre les gains financiers atteignables, la flexibilité électrique peut aussi permettre d’ajuster la consommation réelle par rapport à la consommation achetée pour diminuer les pénalités du gestionnaire de réseau liées à ces écarts.

2. Un programme de recherche ambitieux

SNCF tirera profit du Smart grid pour assurer la stabilité de l’infrastructure électrique ferroviaire, favoriser l’accès à de nouvelles activités de marché ou encore encourager l’intégration de nouveaux modes de mobilité comme les véhicules électriques.

SNCF dispose d’un portefeuille de consommateurs important qui possèdent des caractéristiques de gestion et de flexibilité diverses et complémentaires : les gares, les systèmes de stockage et le matériel roulant. Lors de la valorisation de l’effacement sur les marchés, il est important, pour des raisons de certification des effacements, de regrouper les actifs flexibles pour maximiser les profits et simplifier la communication avec le gestionnaire du réseau public de transport d’électricité (RTE en France) ou à un agrégateur. Cela se traduit par la certification et la vente de blocs d’effacement de 1 à plusieurs MW. Pour cela, le potentiel de flexibilité offert par le matériel roulant est important mais, l’influence du conducteur ayant un impact significatif, peut ne pas remplir l’intégralité du bloc d’effacement vendu sur les marchés. Pour rendre ce bloc certifiable, SNCF peut compter sur ses autres actifs comme les gares et ses autres systèmes de stockage. Lorsque l’effacement est supérieur au bloc vendu, des systèmes de stockage sous forme de batteries électrochimiques ou d’autres technologies (par exemple, la génération d’hydrogène par électrolyse puis son stockage) peuvent absorber l’excédent pour éviter de payer des surcoûts liés à ce déséquilibre (couramment appelé le règlement des écarts). Lorsque l’effacement est insuffisant, les batteries et/ou les piles à hydrogène peuvent fournir une partie de l’écart. Certaines charges contrôlables en temps réel dans les gares peuvent également appuyer l’effacement afin de réduire la consommation, par exemple. La diminution de la température des zones d’attente voyageurs, la variation de la luminosité des quais ou l’extinction des bornes de validation. Ce principe, basé sur la complémentarité des champs d’application, est appelé Virtual Power Plan (centrales électriques virtuelles).

Mise en perspective de la capacité de foisonnement des consommateurs de SNCF (Source : SNCF)

Pour réussir le pari du Smart grid, les gares, les systèmes de stockage et le matériel roulant sont au cœur d’un programme de flexibilité. Ce programme étudie :

  • des gares capables de faire des modulations d’usage (chauffage, climatisation, éclairage, etc.). Ce champ nécessite de systématiser la mise en place d’automates et de dispositifs de mesure et des études sur l’acceptation des impacts sur le confort en gare ;
  • des batteries nouvelle génération équipant trains, installations de signalisation et gares. Leur participation à la flexibilité du système permettra d’améliorer leur rentabilité ;
  • des trains capables de moduler leur vitesse. D’un point de vue technique, ce champ nécessite d’identifier et mettre à jour en temps réel les marges dans les parcours des trains, tout en garantissant un impact nul sur la régularité. Sur le plan juridique et économique, il supposera que les acteurs du système ferroviaires conviennent d’une répartition de la valeur créée, et que RTE reconnaisse la faisabilité de la certification par le foisonnement de plusieurs trains mobiles.

3. La valeur des micro-réseaux

Chaque brique technologique nécessaire au développement du Smart grid dans l’environnement ferroviaire est en cours d’expérimentation. L’objectif est d’identifier les spécifications clés de chaque champ d’application. Par exemple, l’outil d’aide à la conduite des conducteurs de TGV : Opticonduite permet aujourd’hui d’optimiser la consommation d’un trajet au vu du parcours et du matériel roulant utilisé. A l’avenir, il faudra développer au sein de cet outil un module de flexibilité permettant de réguler la vitesse du train pour répondre à des problématiques externes au système ferroviaire (par exemple, l’effacement). L’ajout de nouveaux équipements est quant à lui une opportunité pour profiter de potentiels inexploités des autres champs d’application de l’effacement.

Les microgrids

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Les préconisations effectuées par SNCF Innovation & Recherche sur le développement des gares « Smart grid ferroviaire ready » sont appliquées à deux gares : Besançon-TGV et Aix-en-Provence-TGV. L’objectif pour Besançon TGV est de permettre un retour d’expérience sur les potentiels d’effacement disponibles en gare et leurs impacts sur la satisfaction client. La gare d’Aix-en-Provence-TGV ajoute en sus des systèmes de production (panneaux solaires), des bornes de recharge de véhicules électriques et une batterie Li-ion. La gestion développée sur la batterie devra limiter l’impact des nouvelles mobilités sur les hubs de mobilités que sont les gares et participer aux effacements demandés par le gestionnaire de transport d’électricité. Ces deux preuves de faisabilité permettront de renforcer les préconisations pour la suite du déploiement qui sera instruit par SNCF Gares & Connexions.

Schéma du déploiement du Smart Grid ferroviaire (Source : SNCF)

En 2017, le développement de l’algorithme permettant la prise en compte d’un signal d’effacement dans la définition du trajet optimal de l’outil Opticonduite a commencé. S’en suivra la rédaction d’un cahier des charges permettant de rendre les futurs trains « Smart grid ferroviaire ready » à l’instar de celui réalisé début 2018 pour les gares. Une expérimentation de l’effacement par la traction reste à bâtir.

Concernant les systèmes de stockage, la gestion des batteries multi-services a été engagée. Plusieurs cas d’application ferroviaire à travers le monde (par exemple, avec le gestionnaire de transports. SEPTA à Philadelphie). Ce projet a pour objectif l’ajout d’un service supplémentaire (l’effacement) sur des batteries au Lithium déjà en service sur le réseau ferroviaire.

4. Coordination et gouvernance

Du gestionnaire de réseaux électriques jusqu’à l’actif flexible d’une entreprise ferroviaire, plusieurs acteurs entrent en jeu. Les signaux sur les marchés, la disponibilité des actifs, l’agrégation et l’activation des flexibilités nécessiteront des arbitrages complexes. La mise en œuvre d’une centrale électrique virtuelle sera l’aboutissement de la définition des rôles et responsabilités au sein de ce système.

Les compétences internes et le volume d’énergie mis en œuvre de manière flexible devraient, après 2 à 5 ans, atteindre une puissance suffisante pour justifier un déploiement. La dernière étape sera alors le choix des modalités d’accès aux marchés (contractualisation, règlementation, veille, mitigation des risques, mutualisation des sites). La certification et la gestion en propre des opérations de ses capacités d’effacement est accessible à un opérateur de transports guidés.

Enfin, la multiplication des acteurs ferroviaires peut freiner la mise en place de la flexibilité. En effet, la question de la séparation des gains liés à l’effacement doit être traitée car une partie des actifs appartient à l’opérateur (matériel roulant type TGV), une autre partie au gestionnaire d’infrastructure (voies, caténaires, batteries stationnaires) et certaines aux régions Autorités Organisatrices des Transports mais exploitées par l’opérateur (batteries embarquées dans les TER). Ainsi, le déploiement d’une stratégie de flexibilité optimum requiert encore des efforts importants de pédagogie et de collaborations dans les années à venir.

Les sous-stations hybrides