La "Smart gare", un microgrid urbain

Contenu mis à jour le 04/12/2020

Cette section a été rédigée par

Lilia Galai-Dol d’Efficacity et

Tony Letrouvé de SNCF Innovation & Recherche.

1. Pourquoi un microgrid pour les gares ?

La montée des préoccupations environnementales, les contraintes d’investissement dans les infrastructures et le coût croissant de l’énergie ont amené les acteurs du transport ferroviaire urbain à réfléchir à la façon d’optimiser la consommation d’énergie des gares.

D’une part, les avancées techniques des dernières années ont permis de réduire la consommation d’énergie des trains et, d’autre part, l’évolution des gares les transforment en mini-villes en termes de services. La facture énergétique globale des gares a augmenté et représente jusqu’à un tiers de celle du système ferroviaire en Île-de-France.

Cela a mené les acteurs comme RATP et SNCF à des réflexions et projets visant à mettre en place une gestion optimisée et intelligente de l’énergie de la gare, via un microgrid selon la définition de la CRE. Ce microgrid, dont le périmètre est décrit ci-dessous, est un mini Smart grid intégrant des sources locales d’énergie renouvelable ou de récupération, des points de consommation, du stockage et un système de pilotage intelligent. La particularité ferroviaire d’un tel microgrid est l’importance de garantir la disponibilité de l’énergie pour des usages intensifs de mobilité (comme la recharge rapide de véhicules électriques) et une grande résilience aux aléas.

2. La consommation d’énergie des gares

Il existe différents types de gares urbaines dont les consommations énergétiques moyennes annuelles reflètent la variété, comme le montre le tableau ci-dessous.

Comparaison de la consommation énergétique entre les gares et le logement (Source : Ecocampus/ Efficacity)

La tendance de fond est une augmentation des consommations énergétiques des gares liée à la multiplication des services.

En travaillant sur les gares souterraines récentes, les plus consommatrices d’énergie, Efficacity (un centre de R&D dédié à la transformation des territoires urbains) a pu quantifier les principaux postes de consommation : l’éclairage, les escaliers mécaniques, la ventilation et les réseaux de communication 3G/4G. Ces consommations varient en proportion de la taille et de la profondeur de la station.

3. Les sources locales d’énergie des gares

Au sein des gares, on trouve de nombreux gisements d’efficacité énergétique encore largement sous-exploités.

Face à l’augmentation des besoins énergétiques des gares ou des quartiers environnants, il est souhaitable aujourd’hui de mobiliser l’ensemble des gisements d’efficacité énergétique. C’est ce qu’ont commencé à faire plusieurs collectivités et acteurs du monde ferroviaire urbain. Ce faisant, ces acteurs français acquièrent un savoir-faire qui a vocation à s’exporter car de nombreuses métropoles mondiales connaissent des enjeux similaires.

Les principales sources d’énergies récupérables que l’on trouve au sein d’une gare sont les suivantes :

  • pour la production d’énergie électrique : l’énergie de freinage des trains, propre aux gares, ainsi que les énergies photovoltaïque et éolienne que l’on retrouve aussi sur les autres équipements urbains, l’effet piston (surpression produite lors du passage d’un train dans un tunnel) ;
  • pour l’énergie thermique : la chaleur fatale issue des locaux techniques, la faible variation de température des stations souterraines (inertie thermique), la géothermie sur les parois moulées des infrastructures souterraines, etc.

Prenons l’exemple de l’énergie de freinage. Lorsqu’un train arrive en gare, la plus grande partie de l’énergie de freinage est récupérée et transmise aux trains qui démarrent ou accélèrent à proximité. Mais il reste une part de cette énergie de freinage qui ne peut être restituée aux autres trains de la ligne et qui est alors perdue. Le matériel roulant s’améliore sans cesse et les automatismes de conduite de métro permettent d’optimiser les cycles freinage/accélération entre les trains. Il subsiste toutefois un reliquat d’énergie de freinage représentant environ 20 % sur les véhicules automatiques légers (VAL, métro sur pneus totalement automatique). Il serait donc très intéressant de récupérer cette énergie, éventuellement de la stocker et de l’utiliser en particulier pour les besoins de la gare la plus proche.

A Paris, sur la ligne SNCF Transilien du RER C, un convertisseur a été installé pour renvoyer l’énergie de freinage au quartier. La sous-station modifiée (Masséna) convertit une partie de l’énergie de freinage pour la renvoyer au réseau amont. Elle est partagée avec le réseau ferroviaire, les gares, et les consommateurs industriels à proximité.

Autre exemple, la géothermie sur parois moulées. Lorsque la gare est souterraine et que ses fondations (parois moulées) sont situées au niveau de la nappe phréatique de surface, la récupération de cette énergie du sous-sol peut être intéressante à la fois pour répondre aux besoins de chauffage ou de rafraîchissement de la gare mais aussi du quartier environnant.

La Smart gare d'Aix-en-Provence

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4. Le pilotage énergétique d’une « smart gare »

Les gares peuvent devenir de véritables « hubs énergétiques intelligents », car elles représentent des objets urbains techniquement bien maîtrisés, avec des maîtres d’ouvrage et gestionnaires bien identifiés.

Il est ainsi possible, pour de nouvelles gares ou pour des gares existantes, de mettre en relation les gisements locaux et les besoins d’énergie de la gare ou du quartier environnant. Puis de piloter l’ensemble de manière optimisée, avec le cas échéant des dispositifs de stockage adaptés.

À terme, les deux réseaux électriques et de chaleur ont vocation à être optimisés de manière imbriquée sur un même territoire (une gare, un quartier, etc.) et on parlera alors de « Smart grid électrique et thermique ». Un lien avec le réseau de gaz est également envisageable avec la récupération de l’énergie de freinage transformée en hydrogène par un procédé d’électrolyse (« Power to gas »). On qualifie cette recherche de synergies entre les différents réseaux urbains d’énergie d’approche « multi-énergies » ou « multi-fluides ».

Le renouvellement d’un groupe électrogène de secours peut être l’occasion d’instaurer ces fonctionnalités dites « smart ». En gare de Sarcelles St Brice le groupe électrogène, bruyant et polluant, est remplacé par des batteries au Li-ion qui, en plus d’assurer le secours de la gare et le secours des installations de signalisation, permettront de nouveaux services de gestion énergétique (écrêtage de la puissance de pointe, lissage de la consommation électrique journalière, effacement).

Le schéma suivant illustre ce potentiel de la Smart gare, c’est-à-dire d’un Smart grid électrique et thermique à l’échelle d’une gare en lien avec son environnement urbain immédiat (bâtiments, infrastructure de recharge de véhicules électriques, etc.).

La Smart gare ou l’association intelligente d’un Smart grid électrique et d’un Smart grid thermique (Source : Efficacity)

Voici deux exemples concrets de l’impact positif d’un microgrid d’une gare :

  1. La mise en place d’un microgrid intégrant la récupération de l’énergie résiduelle de freinage des métros et le stock-age de cette énergie localement (en couplant à la fois super condensateurs pour un stockage rapide avec une faible capacité, et batterie pour un stockage lent avec une forte capacité) permet de redistribuer une quantité d’énergie aux équipements de la gare estimée à environ 1 MWh/j. Ce microgrid permet en outre d’améliorer la stabilité électrique des lignes de traction et, enfin, de limiter le freinage mécanique traditionnel qui ne permet pas de récupérer de l’énergie électrique.
  2. La mise en place d’un microgrid intégrant instrumentation et pilotage intelligent des systèmes et équipements électriques de la gare (éclairage, escaliers mécaniques, ventilation, etc.) permet une plus grande sobriété énergétique. Ain-si, grâce à l’installation de capteurs permettant de suivre en temps réel les flux de voyageurs dans la gare ainsi que divers paramètres liés au confort et à l’environnement, il est possible de piloter les équipements électriques de manière à minimiser leur consommation d’énergie tout en conservant ou améliorant le niveau confort des usagers. Pour mettre en place ce pilotage intelligent, Efficacity a mené des travaux en matière d’analyse multi-physique et d’optimisation du pilotage énergétique à l’échelle du microgrid d’un pôle gare. Ce pilotage intervient sur différents niveaux complémentaires :
Les différents niveaux de pilotage intelligent d’une gare (Source : Efficacity)

Ces différents niveaux de contrôle permettent de :

  • transformer la gare en hub énergétique élargi au niveau du quartier environnant et de ses fonctionnalités ;
  • développer des méthodologies pour une modélisation et un pilotage intelligent adéquat ;
  • mutualiser les infrastructures et services pour améliorer leur rendement et les performances énergétiques ;
  • lisser les appels de puissance et les congestions de ligne, stabiliser et fiabiliser les réseaux grâce au stockage et à l’écrêtage.

In fine, l’amélioration des gains énergétiques est liée à un dimensionnement des réseaux adapté aux conditions réelles de fonctionnement en tenant compte d’un pilotage intelligent.

La gare laboratoire d’Aix-en-Provence TGV est le premier démonstrateur de micro-grid physique réalisé intégré à une gare. Ce démonstrateur est constitué d’une ombrière photovoltaïque qui alimente des bornes de recharge de véhicules électriques, de batteries Lithium-ion utilisées pour offrir un levier dans la gestion des flux d’énergie, et d’un gestionnaire intelligent équipé d’un algorithme développé par SNCF Innovation & Recherche. L’automate permet de gérer l’énergie en fonction des différents besoins de mobilité électrique, des conditions climatiques et de la consommation de la gare. De nombreuses mesures sont d’ores et déjà collectées pour alimenter les travaux de recherche visant à optimiser l’intégration des énergies renouvelables et des bornes de recharge de véhicules électriques.

5. Conclusion

Les travaux de R&D menés sur la Smart gare permettent aujourd’hui d’envisager plusieurs typologies de microgrids, avec comme objectifs :

  • une plus grande sobriété, en réduisant les besoins énergétiques de la gare à niveau de confort équivalent pour les usagers ;
  • un meilleur mix énergétique, en mobilisant les gisements d’énergie renouvelables et de récupération, à ce jour sous-exploités.

Ce faisant, les acteurs seront amenés à transformer la gare en « hub énergétique intelligent » pour offrir une meilleure performance et plus de services, partagés avec son quartier environnant. Les différents aspects de bâtiments consommateurs, producteurs d’énergie et intégrés dans leur environnement sont étudiés. Ainsi les gares peuvent participer à l’équilibre des réseaux électriques et contribuer à la fiabilité de l’alimentation électrique de leur territoire.

Ce qui est possible pour la gare l’est également pour les autres grands pôles urbains (pôles commerciaux, grands équipements publics, etc.) et cela illustre plus généralement la nécessité d’une approche systémique de l’énergie en ville. En effet, des synergies, mutualisations et optimisations doivent se développer entre les différents objets et systèmes urbains si l’on souhaite accélérer radicalement la transition énergétique des villes.

C’est ce sur quoi porte la recherche-action et les outils développés par Efficacity, dans le cadre du partenariat original porté par les ITE (Instituts pour la Transition Energétique) associant recherche et industrie. SNCF est un précurseur dans la mise en œuvre industrielle de ce type de solutions.

La flexibilité énergétique des transports guidés