La question du rebours

Contenu mis à jour le 07/04/2021

Cette section a été rédigée par

La Commission de régulation de l'énergie

1. Le fonctionnement historique du réseau de gaz naturel

Les réseaux de gaz naturel sont des infrastructures constituées de canalisations, de stations de compression et de postes de sectionnement, de coupure et de détente, structurées de la manière suivante : 

  • le réseau de transport principal, ensemble des canalisations à haute pression et de grand diamètre, qui relient entre eux les points d’interconnexion avec les réseaux voisins, les stockages souterrains et les terminaux méthaniers, et auquel sont raccordés les réseaux de transport régionaux et les plus importants consommateurs industriels ;
  • le réseau de transport régional, partie du réseau de transport qui assure l’acheminement du gaz naturel vers les réseaux de distribution et vers les clients finals ayant une consommation importante, qui sont directement raccordés au réseau de transport régional ;
  • le réseau de distribution, qui permet la desserte du gaz naturel en moyenne ou basse pression en aval du réseau de transport jusqu’aux consommateurs domestiques, tertiaires ou petits industriels.

À chaque interface entre le réseau de transport principal et le réseau de transport régional et entre le réseau de transport régional et le réseau de distribution sont installés des postes de détente qui permettent d’abaisser la pression. Les postes de livraison sont implantés à l’interface entre le client industriel et le réseau de transport ou de distribution de gaz naturel. Ils permettent de réduire la pression du gaz à une valeur correspondant à son utilisation.

Sur l’ensemble de ces réseaux sont installés des organes physiques qui empêchent que le gaz ne remonte dans le sens opposé au sens physique principal des flux, vers des réseaux aux pressions supérieures.

2. En quoi consiste le rebours ?

Avec le développement de l’injection de biométhane sur les réseaux publics de distribution de gaz naturel, le volume de gaz naturel injecté sera supérieur au volume de gaz naturel consommé sur une zone. En effet, les producteurs de biométhane ont généralement un débit d’injection constant toute l’année, alors que les consommations de gaz naturel varient au cours de l’année en fonction des conditions météorologiques. L’été, il ne reste que des usages d’eau chaude sanitaire et de cuisson, alors que l’hiver, le gaz est utilisé majoritairement pour le chauffage.

Si le niveau de consommation minimum observé dans une zone définit la capacité maximale d’injection de l’installation de production, il peut arriver que le volume de production dépasse tout de même le volume consommation. La solution mise en œuvre jusqu’à l’introduction du droit à l’injection pour résoudre cette difficulté, consistait à réduire l’injection des installations de production de biométhane.

Source : GRTgaz

Cependant, cette solution conduisait à limiter le volume de biométhane injecté dans les réseaux publics de distribution et donc le nombre d’installations de production de gaz renouvelable au regard des objectifs européens et français ambitieux en matière de développement d’énergies vertes. En particulier, ce mode de fonctionnement ne permettrait pas d’atteindre les objectifs en termes d’injection de biométhane à horizon 2028 fixés par le projet de PPE mis en consultation en février 2019.

Les recommandations du groupe de travail national chargé d’accélérer le développement de la méthanisation, présentées en mars 2018, ont conduit à introduire dans la loi n°2018-938 du 30 octobre 2018 pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous, dite EGalim, un principe nouveau de droit à l’injection pour les producteurs de biogaz. Ce droit à l’injection doit être compris, sous réserve du respect de certaines conditions technico-économiques, comme un droit au renforcement.

Par renforcement, il faut entendre deux types d’ouvrages, qui peuvent permettre de créer des exutoires à la production d’une installation qui saturerait à un moment de l'année la maille de distribution sur laquelle elle injecte :

  • le maillage : deux mailles de distribution de pression équivalente sont raccordées physiquement ;
  • le rebours : l’installation d’un compresseur permet d'injecter le gaz sur un réseau de pression supérieure.

Comme présenté dans le schéma ci-dessous, le solution « rebours » consiste à installer un compresseur en parallèle du poste de détente, permettant de compresser le gaz avant son injection dans le réseau de transport de gaz naturel. Le poste de détente fonctionne principalement l’hiver lorsque la consommation de la poche est plus importante que la production de biométhane et le compresseur prend le relais lorsque la consommation est moins importante que la production de biométhane.

Avec un compresseur sur le réseau de distribution (Source : Solagro)

3. Des expérimentations déjà fonctionnelles à l’étranger

Des expérimentations de rebours ont déjà été conduites au Royaume-Uni et en Allemagne.

3.1 Royaume-Uni : projet pilote IFI à Skipton (Yorkshire)

Au Royaume-Uni, beaucoup de sites d’injection de biométhane sont situés en zones rurales, où la demande en gaz naturel sur les réseaux est insuffisante pour pouvoir consommer tout le biométhane produit et injecté dans les réseaux. Brûler le biométhane excédentaire étant néfaste pour l’environnement et le stocker n’étant pas rentable. Northern Gas Networks (gestionnaire des réseaux publics de gaz naturel au Nord de l’Angleterre) en partenariat avec National Grid (gestionnaire de réseaux de transport d’électricité et de gaz britannique) et CNG Services (spécialiste de l’injection de biométhane dans le réseau de gaz naturel britannique) ont étudié la possibilité, grâce à un compresseur spécialement conçue pour le projet, d’inverser les flux sur les réseaux de gaz naturel, créant ainsi de la capacité d’injection pour le biométhane.

Ce projet, financé dans le cadre « Initiative de financement de l’innovation » (Innovation Funding Initiative – IFI), est situé à Skipton (Yorkshire). Il s’est déroulé en deux phases : une étude de faisabilité (décembre 2009 et septembre 2012) et d’une première expérimentation (de septembre 2012 à septembre 2013).

Ces deux phases ayant été couronnées de succès, la méthode se généralise aujourd’hui dans tout le Royaume-Uni afin de permettre à un plus grand nombre de projets d’injection de biométhane de se lancer. Cette innovation est d’autant plus opportune que l’utilisation du biogaz pour produire de l’électricité n’est pas envisageable dans la mesure où les capacités d’accueil des réseaux publics de distribution d’électricité sont saturées par les productions des fermes solaires qui se multiplient sur tout le territoire britannique.

Source : Solagro

3.2 Allemagne : le projet de biométhane agricole à Emmertsbühl (Bade-Wurtemberg)

L’Allemagne ambitionne de porter à 6 % en 2020 et 10 % d’ici 2030 la proportion de biométhane dans ses réseaux de gaz naturel. Cependant, comme le Royaume-Uni et la France, les producteurs de biométhane voulant injecter sur le réseau public de distribution de gaz naturel sont confrontés aux limites des zones de consommation et au caractère monodirectionnel des réseaux de gaz naturel.

En 2008, après une étude de potentiel, le fournisseur de gaz naturel allemand EnBW a proposé à un agriculteur méthaniseur d’Emmertsbühl (Bade-Wurtemberg) de transformer son installation de cogénération (420 kWe produits grâce à la valorisation d’un biogaz produit principalement à partir de maïs ensilé – procédé aujourd’hui interdit en France) pour lui permettre d’injecter du biométhane dans le réseau de gaz naturel.

Des études de faisabilité ont été réalisées de janvier 2009 à avril 2010. Le réseau de gaz naturel et l’installation d’épuration et d’injection ont été construits entre avril 2010 et septembre 2010, date de la mise en service. L’agriculteur vend son biogaz à EnBW, qui l’épure puis injecte le biométhane dans le réseau de gaz depuis fin 2010.

Étant donné qu’il n’y a que 200 petits consommateurs et 5 industriels raccordés au réseau de distribution de gaz naturel, le volume de production de l’installation de production dépasse le volume de consommation entre mai et novembre.

Alors qu’il aurait été possible d’injecter directement dans le réseau de transport de gaz naturel situé à 4,8 kilomètres, les porteurs de projet ont fait le choix d’injecter dans le réseau de distribution situé à 800 mètres en faisant appel à une solution de rebours. La pression du réseau de transport est à 40 bars et celle du réseau de distribution entre 1 et 5 bars. Un système de compression et de boucle a donc été mis en place, permettant au biométhane de remonter dans le sens inverse des flux vers le réseau de transport de gaz naturel, qui alimente déjà cette zone de distribution.

Source : EnBW
Source : EnBW

Un brevet a été déposé pour le raccordement de l’installation de compression entre le réseau de distribution et celui de transport. L’innovation principale réside dans le faible coût de l’installation, mais aussi la facilité de réalisation de l’équipement. Le gestionnaire de réseau ENBW Gasnetz assure la connexion entre les deux réseaux et a financé cet investissement de 1,8 millions d’euros. Ce projet permet à 23 GWh de biométhane d’être injectés et distribués dans l’ensemble du pays.

Sur le site, les analyses de gaz sont faites en continu avec un analyseur propre à l’unité d’épuration et un autre situé avant l’injection. Si la qualité du biométhane est jugée insuffisante pour être injecté, la vanne d’alimentation du réseau de distribution se ferme. Les fermetures sont généralement inférieures à une minute. Des ajustements sur la qualité du gaz (notamment de son pouvoir calorifique) sont faits vers l’aval ou vers l’amont grâce à l’ajout de propane.

4. Des premiers rebours déjà approuvés en France

En France, deux projets de rebours pilotes ont été mis en service sur les zones de Pontivy et Pouzauges, respectivement en novembre et décembre 2019. Un projet supplémentaire a été approuvé par la CRE sur la zone de Chessy. Sa mise en service est prévue respectivement pour octobre 2020. 

Par ailleurs, 5 autres projets sont à l’étude pour une mise en service en 2021.

Le projet West Grid Synergy

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Le stockage comme alternative au rebours : Projet Flores

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